Les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction. En conséquence, les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines.
Est-il possible de cumuler les sanctions pénales et administratives susceptibles d’être infligées respectivement par le juge répressif et par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés fi nanciers (AMF), en cas d’abus de marché ? Force est de constater que notre jurisprudence était jusqu’ici favorable à ce cumul.
D’une part, la Cour de cassation a eu l’occasion de le dire expressément à plusieurs reprises. D’autre part, le Conseil constitutionnel a lui-même admis cette solution, à condition que le montant global des sanctions ainsi prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Or, cette dernière solution n’était pas partagée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il était donc attendu que le Conseil constitutionnel ait l’occasion de se prononcer en matière financière. C’est chose faite par la décision rapportée du 18 mars 2015. Les Sages y affirment que si les dispositions contestées des articles 6 du code de procédure pénale et L. 621-20-1 du code monétaire et financier sont conformes à la Constitution, il en va différemment de l’article L. 465-1 de ce dernier code, relatif au délit d’initié réprimé par
le juge pénal, et de l’article L. 621-15, relatif au manquement d’initié réprimé par l’AMF.
Le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence aux termes de laquelle le principe de nécessité des délits et des peines « ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ».
Ainsi, il relève que les articles précités tendent à réprimer les mêmes faits et en conclut qu’ils définissent et qualifient de la même manière le manquement d’initié et le délit d’initié. Ensuite, il observe que la répression du manquement d’initié et celle du délit d’initié poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers ; les deux répressions protègent donc les mêmes intérêts sociaux. En outre, les Sages notent que, si seul le juge pénal peut condamner l’auteur d’un délit d’initié à une peine d’emprisonnement lorsqu’il s’agit d’une personne physique et à une dissolution lorsqu’il s’agit d’une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers peuvent être aussi d’une très grande sévérité et atteindre jusqu’à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d’initié. Il en résulte alors que les faits réprimés
par les articles L. 465-1 et L. 621-15 doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente. Enfin, le Conseil constitutionnel constate que, dès lors que l’auteur d’un manquement d’initié n’est pas une personne ou entité mentionnée au paragraphe II de l’article L. 621-9 du code monétaire et financier, la sanction qu’il encourt et celle qu’encourt l’auteur d’un délit d’initié relèvent toutes deux des juridictions de l’ordre judiciaire.
Le Conseil constitutionnel déduit de ces observations que les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction. Dès lors, les articles L. 465-1 et L. 621-15 méconnaissent (en ce qu’ils peuvent être appliqués à une personne ou entité autre que celles mentionnées au paragraphe II de l’art. L. 621-9) le principe de nécessité des délits et des peines. Le Conseil déclare donc ces dispositions, ainsi que celles des articles L. 466-1, L. 621-15-1, L. 621-16 et L. 621-16-1 qui sont vues comme leur étant inséparables, contraires à la Constitution. Il reporte néanmoins au 1er septembre 2016 la date d’abrogation de ces dispositions, en précisant que des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, à l’encontre d’une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l’article L. 621-9 du même code, dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne devant le juge judiciaire statuant en matière pénale sur le fondement de l’article L. 465-1 du même code, ou que celui-ci aura déjà définitivement statué sur des poursuites pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne. Et il en est de même s’agissant de poursuites fondées sur l’article L. 465-1, dès lors que d’autres auront déjà été engagées devant la commission des sanctions de l’AMF ou que celle-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits à l’encontre de la même personne.