La surveillance de l’utilisation d’internet par un salarié sur le lieu et pendant les heures de travail met en jeu le droit au respect de la vie privée et de la correspondance garanti par l’article 8 de la Convention européenne. Toutefois, il n’est pas déraisonnable de vouloir vérifier que les employés achèvent leurs tâches professionnelles.
Dans l’affaire Bărbulescu v. Romania, un employeur avait installé pendant neuf jours un logiciel espion sur l’ordinateur professionnel d’un salarié et enregistrait toute l’activité de ce dernier. Au cours de ces neuf jours, il a remarqué que le salarié avait utilisé le compte Yahoo Messenger, ouvert par le salarié à la demande de l’employeur, à des fins personnelles. Le salarié a nié avoir envoyé des mails personnels avec ce compte normalement dédié aux communications avec les clients de l’entreprise. En réponse à cette affirmation, l’employeur a communiqué des transcriptions de messages envoyés par le salarié à son frère et à sa fiancée via la messagerie instantanée du compte Yahoo. On relèvera que les messages portés sur des données « sensibles » au sens de la loi n° 677/2001 et de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 (relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données) puisque, dans les transcriptions des messages, l’état de santé et la vie sexuelle du salarié étaient évoqués.
Si, devant les juridictions internes, le salarié poursuivait son employeur, c’est bien l’État roumain qui était en cause devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au titre des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH devait donc déterminer si l’État roumain avait ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance et les intérêts de son employeur.
La Cour retient l’absence de violation de l’article 8 de la Convention. Elle note que les juridictions internes ont accordé une attention particulière au fait que l’employeur avait accédé au compte Yahoo Messenger du requérant dans la croyance sincère qu’il contenait des messages strictement professionnels, dans la mesure où le salarié lui avait affirmé ne pas avoir utilisé le compte à des fins personnelles. Il en résulte que l’employeur a agi conformément à son pouvoir disciplinaire. Quant à l’utilisation des transcriptions des communications du requérant dans le cadre de la procédure, elle n’a, pour la CEDH, pas porté atteinte à la vie privée du salarié dans la mesure où les juridictions internes n’ont révélé dans leur décision ni le contenu des messages ni leur destinataire et que les transcriptions n’ont été utilisées que pour prouver la violation du règlement intérieur de l’entreprise prohibant l’utilisation des équipements pendant les heures de travail.
Finalement, la Cour estime qu’il n’est pas déraisonnable pour un employeur de vouloir vérifier que les salariés achèvent leurs tâches professionnelles pendant les heures ouvrables. En outre, les juges européens remarquent que les données et documents qui ont été stockés sur l’ordinateur n’ont pas été examinés par l’employeur dont la surveillance présentait donc une portée limitée et proportionnée.
Preuve : courriers électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié.
La production de messages électroniques provenant de la messagerie personnelle d’une salariée, distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, porte atteinte au secret des correspondances et doit par conséquent être écartée.
Prenant acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, une salariée avait saisi une juridiction prud’homale. Devant la cour d’appel, l’employeur produisit aux débats une pièce qui reprenait un échange de messages électroniques reçus par l’employée. Cette pièce fut cependant écartée par la juridiction d’appel au motif que, bien que provenant de l’ordinateur professionnel mis à la disposition de la salariée, cet échange de courriels provenait de la messagerie personnelle de la salariée et émanait d’adresses non professionnelles, de sorte que sa production aux débats avait porté atteinte au secret des correspondances.
C’est ce que contestait l’employeur devant la Cour de cassation. Il soutenait que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels. Or, les courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils sont émis depuis ou vers la messagerie électronique personnelle du salarié. Dès lors, en écartant des débats la pièce produite par l’employeur, la cour d’appel aurait violé les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile.
Rejetant l’argumentation du demandeur, la Cour de cassation relève que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée qui était distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité. Il en résultait que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances.
Sur ce point, le principe qui domine est celui de la protection de la vie privée telle qu’elle est garantie par l’article 9 du code civil. Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, ce qui implique en particulier la protection du secret de ses correspondances. Ce respect n’a toutefois pas à être absolu puisque l’employeur peut, sous certaines conditions, accéder aux fichiers contenus dans l’ordinateur mis à la disposition du salarié. Il ressort en effet de la jurisprudence que l’employeur peut, d’une part, consulter tous les fichiers qui ne sont pas identifiés comme personnels dans l’ordinateur en question et, d’autre part, consulter les fichiers identifiés comme tels sous réserve d’être en présence du salarié ou en cas de risque ou d’événement particulier.
S’agissant des messages électroniques, il a été plus spécifiquement précisé que les courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, ce qui donne à l’employeur le droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme personnels. En l’espèce, la discussion que l’employeur a tenté de produire en justice provenait de messages électroniques échangés sur la messagerie personnelle du salarié et non sur sa messagerie professionnelle. Aussi le demandeur à la cassation prétendait-il qu’une telle considération était indifférente dès lors que ces courriels étaient contenus dans l’ordinateur mis à disposition du salarié. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation indique que ce n’est pas tant le fait que ces messages soient contenus dans l’ordinateur mis à disposition du salarié qui importe que la nature de la messagerie dans laquelle ils sont contenus. Dès lors que ces courriels proviennent de la messagerie personnelle du salarié, l’employeur ne peut les intercepter et les produire en justice sans violer le secret des correspondances.