Aux termes de l’article 815-16 du code civil, l’action en nullité d’une cession de droits indivis, opérée au mépris des dispositions de l’article 815-14 du même code, se prescrit par cinq ans. Cette prescription court à compter du jour où le coïndivisaire du vendeur a eu connaissance de la vente. Une telle connaissance est réputée acquise dès la publication de l’acte de cession.
Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce sur le point de départ de la prescription quinquennale ouverte par l’article 815-16 du code civil en cas de violation de l’article 815-14 du même code.
Pour permettre aux indivisaires de faire valoir leur droit de préemption lors de la cession des parts détenues par l’un d’eux, l’article 815-14 impose au cédant de leur notifier le prix et les conditions de la cession projetée, ouvrant alors une procédure particulière au profit de celui qui entend se porter acquéreur.
La vente réalisée en violation de cette exigence de notification est sanctionnée, sur le fondement de l’article 815-16, par l’action en nullité reconnue au bénéfice des coïndivisaires du vendeur ou de leurs héritiers. Mais si ce texte précise qu’une telle demande se prescrit par cinq ans, il demeure muet quant au point de départ à prendre en compte pour computer le délai. Un tel silence explique les divergences doctrinales qui ont pu naître à ce sujet et dont la présente affaire est pour partie le reflet .
En l’espèce, une veuve avait cédé en 1984 les droits indivis qu’elle détenait sur une maison d’habitation et quelques parcelles. Bien que n’ayant pas pris soin de notifier à ses enfants coïndivisaires son intention de procéder à cette vente, elle avait tout de même fait publier l’acte litigieux.
Contestant ce transfert réalisé au mépris de son droit de préemption, un des indivisaires faisait valoir devant la Cour de cassation que l’action en nullité octroyée par l’article 815-16 se prescrit par cinq ans à compter « de la découverte de la vente litigieuse et non à compter de la publication de cette vente ».
Une telle interprétation est effectivement autorisée si l’on ne tient compte que de la partie de l’article 2224 du code civil qui prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu […] les faits lui permettant de l’exercer ». Toutefois, ce texte permet également de prendre comme point de départ le moment où le titulaire du droit « aurait dû connaître » les faits lui permettant d’agir. Afin de surmonter les difficultés liées à l’incertitude entourant la détermination du moment où le titulaire du droit a véritablement pris connaissance de ces éléments, la réforme de 2008 a prévu une règle subsidiaire qui ne s’attache plus à la connaissance avérée mais à la bonne information supposée. Autrement dit, comme le résume un auteur, « la prescription court à compter de la connaissance effective ou de l’ignorance blâmable ».
C’est en se fondant sur cette seconde partie de l’article 2224 que la première chambre civile rejette le moyen du pourvoi en soulignant que si la « prescription court à compter du jour où le coïndivisaire du vendeur a eu connaissance de la vente », celle-ci « était opposable aux tiers du fait de sa publication […], ce dont il s’induit que les coïndivisaires auxquels le projet de cession n’avait pas été régulièrement notifié étaient réputés en avoir eu connaissance à cette date ».
Ce n’est donc ni la date de la cession des droits indivis, ni celle de la connaissance effective de cette cession qui constitue le point de départ de la prescription quinquennale de l’article 815-16, mais, conformément à ce qui avait déjà pu être retenu par des juges du fond, la date de la publication de l’acte.
La première chambre civile considère donc que le fait de « pouvoir » prendre connaissance d’un acte s’assimile au fait de « devoir » en prendre connaissance. Pour imparfait qu’il soit, ce rapprochement permet d’échapper à l’improbable quête du moment où l’indivisaire a véritablement acquis connaissance de la vente. Toutefois, une telle solution conduit également à paralyser une partie du dispositif contenu à l’article 2224.