Autorité de la concurrence : rapport d’activité pour 2012
En 2012, l’Autorité de la concurrence a ainsi été classée deuxième autorité mondiale (juste après la DG Concurrence de la Commission européenne) par la revue Global Competition Review qui compare les autorités de concurrence au plan mondial selon des critères d’efficacité, d’effectivité et de nombre de décisions. L’Autorité a rendu 266 décisions dont 185 en matière de contrôle des concentrations, 53 en matière de pratiques anticoncurrentielles et 28 avis.
L’actualité législative à laquelle l’Autorité a été confrontée s’est concentrée, l’année dernière, sur la situation économique des collectivités d’outre-mer avec l’adoption de la loi n° 2012-1270 du
20 novembre 2012, dite « Lurel ». Cette loi, que plusieurs avis et décisions ont permis de préparer, octroie un pouvoir d’injonction important à l’Autorité permettant une meilleure régulation des marchés en amont. Par ailleurs, il faut relever que la Nouvelle-Calédonie va se doter d’une autorité de concurrence spécifique qui travaillera en étroite collaboration avec l’Autorité de la concurrence (V. deux rapports, Aut. conc., 21 sept. 2012, relatifs, d’une part, aux structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie, et, d’autre part, aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation). Enfin, celle-ci a rendu un avis favorable à l’introduction de l’action de groupe considérant que la France doit rester compétitive sur le plan juridique en évitant que les entreprises ou les consommateurs portent les litiges à l’étranger. Toutefois, Bruno Lasserre regrette que ce texte ne soit pas étendu aux petites et moyennes entreprises (PME) qui pourraient, comme les consommateurs personnes physiques, subir des préjudices issus de comportements anticoncurrentiels d’entreprises plus importantes. Le président préconise également que l’action en réparation soit intentée dès le début du litige et non pas après épuisement des voies de recours.
Concernant son activité de sanction des pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité de la concurrence a rendu 29 décisions en 2012 et 16 décisions en 2013 (jusqu’au 30 juin). Bruno Lasserre a relevé la part croissante des décisions négociées et considère que le succès des programmes de clémence se confirme. Il se dit attentif à toutes les atteintes à la concurrence, qu’elles touchent les consommateurs ou les entreprises et notamment les PME. Il considère, en effet, que les PME sont particulièrement fragiles en période de crise et doivent être protégées.
Dans le domaine de la définition des politiques publiques, l’Autorité a contribué à dynamiser le secteur des télécoms, notamment par l’entrée sur le marché de la téléphonie mobile d’un quatrième opérateur. Le domaine de la santé a également été investi par l’autorité régulatrice. D’une part, celle-ci a rendu une décision concernant des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre par des laboratoires princeps pour empêcher ou retarder l’entrée sur le marché d’un médicament générique (Aut. conc., 14 mai 2013, n° 13-D-11, Plavix, préc., ; deux affaires sont en cours sur des questions de dénigrement ajoutées à d’autres pratiques). D’autre part, l’Autorité vient de lancer une enquête sectorielle sur le marché du médicament, compris largement. L’avis est attendu pour la fin de l’année. Plusieurs questions sont d’ores et déjà soulevées. Les médicaments non remboursés sont vendus en pharmacie avec des écarts de prix constatés de 1 à 4, sans qu’il ne soit possible de comparer les prix. Selon quels critères ces prix sont-ils calculés ? Pourquoi certaines molécules ne sont pas génériquées en France, comme par exemple le parcetamol ? Est-ce que le prix des génériques n’est pas trop élevé en France ? Faut-il ouvrir de nouveaux réseaux de distribution pour les médicaments non remboursés ? L’Autorité s’intéresse également au transport par autocar qui est très peu développé en France par rapport à nos voisins européens. Elle ouvrira une enquête sectorielle fin 2013 et s’interroge déjà sur les obstacles qu’il faudra lever. L’avis est annoncé pour le premier trimestre 2014. Rappelons que la Commission européenne, dans sa feuille de route adressée à la France, le 30 mai 2013, a préconisé une ouverture plus importante de certains services à la concurrence et notamment l’énergie, le transport ferroviaire et la profession d’avocat.
Enfin, en matière de concentrations, l’Autorité a rendu, selon la procédure accélérée, en phase I, 181 décisions favorables en 2012 et 84 décisions favorables début 2013 et en phase II, 3 décisions en 2012 (Aut. conc., 2 juill. 2012, n° 12-DCC-92, Castel/Patriarch ; 23 juill. 2012, n° 12-DCC-100, C+/TPS et n° 12-DCC-101, Canal+/Direct 8) et une décision en 2013 (Aut. conc., 11 juill. 2013, n° 13-DCC-90,Casino/Monoprix, non encore publiée, Dalloz actualité, obs. L. Constantin, à paraître). Bruno Lasserre a rappelé la vigilance et l’intransigeance dont l’Autorité fait preuve en cas de manquement aux engagements pris. Le 10 juillet 2013, elle vient de publier des lignes directrices révisées.
Rejet de l’exception de vérité en matière de dénigrement
La divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte.
Cet arrêt est une illustration de la notion de dénigrement, qui, elle-même, est une application de la théorie de la concurrence déloyale.
Il est question d’une société qui fabrique et commercialise des appareils fonctionnant au gaz et les cartouches correspondantes. Cette société a envoyé à plusieurs de ses concurrents une lettre recommandée avec avis de réception pour les informer de la prétendue non-conformité avec une directive européenne, précisément la directive européenne 1999/36 du 16 juin 2010 relative aux équipements sous pression transportables, de certaines cartouches qu’ils commercialisaient. N’appréciant visiblement guère les donneurs de leçons, deux des sociétés destinataires de la lettre ont estimé que celle-ci visait des produits qu’elles commercialisaient et agissent en conséquence en concurrence déloyale par dénigrement. Elles obtiennent gain de cause devant les juges du fond qui condamnent l’auteur de la missive à des dommages-intérêts. Ils ordonnent, en outre, la publication d’un bandeau couvrant partiellement la page d’accueil des sites de la société auteur de la lettre dédiés à ses services pendant deux mois et d’un communiqué dans deux revues à ses frais. L’auteur de la lettre forme alors un pourvoi dans lequel il invoque l’exception de vérité, plus précisément l’idée selon laquelle ne serait pas constitutive d’un dénigrement fautif l’information exacte et donnée, en termes mesurés, à la société qui commercialise un produit sous sa marque, faisant état du défaut de conformité de ce produit aux normes en vigueur. La Cour de cassation rejette avec force cet argument, en affirmant, dans un attendu de principe que « la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte », ce qui était visiblement le cas, en l’occurrence.
La solution n’est pas nouvelle. Contrairement à ce qui est admis en matière de diffamation, l’exceptio veritatis n’est pas, en principe, retenue dans le cadre du dénigrement.
Par ailleurs, et comme souvent en concurrence déloyale, la fixation du montant des dommages-intérêts pose difficulté, le préjudice concurrentiel étant particulièrement délicat à évaluer. On observera que la Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond selon lesquels, conformément au droit commun de la responsabilité, les dommages-intérêts alloués doivent comprendre à la fois la perte subie par les victimes et le gain dont elles ont été privées, ce qui correspond respectivement au retour des marchandises (que les fournisseurs devront racheter) et à l’arrêt des commandes pour l’avenir. Quant au montant en lui-même des dommages intérêts, il est fixé souverainement par les juges du fond à 25 000 euros. S’agissant de la publication de la décision, elle est jugée appropriée par la Cour de cassation comme mode de réparation du préjudice d’image dont ont souffert les sociétés dénigrées ; elle est même assimilée par la Cour régulatrice à une réparation en nature, ce qui est, somme toute, original.