Banque – crédit : taux effectif global et parts sociales : la Cour de cassation maintient sa position
La Cour de cassation n’en démord pas en dépit d’une position contrastée de la doctrine et de la jurisprudence des juges du fond : dès lors que la souscription de parts sociales de l’établissement prêteur est imposée aux emprunteurs comme une condition de l’octroi du crédit, le coût y afférent doit être intégré dans le taux effectif global.
Et il ne suffit pas au juge pour débouter l’emprunteur de sa demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque d’énoncer que les frais de souscription des parts sociales constituent davantage un actif remboursable qu’une charge ou encore que l’opération considérée ne relève manifestement pas des dispositions des articles 615 et suivants de l’ancien code rural de sorte que la clause générale du prêt intitulé « souscription de parts sociales » invoquée ne s’applique pas au prêt litigieux. La Cour de cassation relève en effet qu’il s’agit là de motifs impropres à exclure que l’octroi du prêt – prêt relai en l’occurrence – ait été subordonné à la souscription de parts sociales de la société coopérative de banque dispensatrice du crédit, sur le coût duquel le montant de cette souscription influait.
Sur le plan procédural, la Cour rappelle également que la demande tendant à voir constater la déchéance du droit aux intérêts, qui ne sanctionne pas une condition de formation du contrat, n’est pas une nullité et est donc soumise à la prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce et non de l’article 1304 du code civil. Seulement la distinction ne présente plus beaucoup d’intérêt depuis que l’article L. 110-4 impose, lui aussi, d’agir dans un délai de cinq ans et non plus de dix ans (L. n° 2008-561, 17 juin 2008).
Crédits à la consommation passés en la forme authentique : application de la loi dans le temps
Seuls les prêts hypothécaires passés en la forme authentique, conclus à compter du 25 mars 2006, sont soumis au régime applicable au crédit à la consommation.
Aux termes de l’article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif, quand bien même la loi nouvelle serait d’ordre public. C’est ainsi que la loi nouvelle, même d’ordre public, ne peut, en l’absence de dispositions spéciales, régir les effets à venir des contrats conclus antérieurement. Ce principe de non-rétroactivité de la loi connaît toutefois des exceptions. Les lois de forme (de procédure, de compétence, d’organisation judiciaire) ont un effet immédiat. On les oppose en général aux lois de fond qui déterminent l’existence et le contenu des droits (V. par ex., Com. 21 oct. 2008, n° 07-15.813, Dalloz jurisprudence).
Ici, la Cour de cassation qualifie l’ordonnance du 23 mars 2006 de loi de fond en ce qu’elle « soumet au régime applicable au crédit à la consommation les prêts hypothécaires conçus par actes authentiques ». Dès lors, en l’absence de dispositions spéciales, cette ordonnance, quand bien même elle serait d’ordre public, ne saurait être rétroactive et régir les prêts conclus antérieurement à son entrée en vigueur.
En l’occurrence les prêts litigieux ayant été conclus avant le 25 mars 2006, c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que ne leur étaient applicables ni dans leur rédaction applicable en la cause, les dispositions de l’article L. 311-3, 1°, du code de la consommation, telles que modifiées par cette ordonnance, ni, par voie de conséquence, celles de l’article L. 311-37 du même code qui sont indissociables de ce régime.
Cet arrêt du 29 mai 2013 rappelle, en outre, quelques règles du crédit à la consommation :
1. Le non-respect de l’envoi des offres de prêt par voie postale (art. L. 312-7) comme de la justification de l’envoi postal de l’acceptation des offres (art. L. 312-10) est sanctionné par la possible déchéance du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge, telle que prévue à l’article L. 312-33 du même code.
2. La sanction de la déchéance du droit aux intérêts est soumise à la prescription (de 10 ans avant la loi du 17 juin 2008) de l’article L. 110-4 du code de commerce.
3. Si la seule sanction de la mention, dans le contrat de prêt, d’un taux effectif global erroné est la nullité de la stipulation contractuelle relative aux intérêts conventionnels, la possible déchéance du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge, telle que prévue à l’article L. 312-33 du code de la consommation, sanction civile soumise à la prescription décennale de l’article L. 110-4 du code de commerce, tel qu’applicable en la cause, est également encourue lorsque la mention d’un taux effectif global irrégulier figure dans l’offre de prêt (Civ. 1re, 18 févr. 2009, n° 05-16.774).
Société :
Obligation de récupération des aides d’État illégales en cas de procédure collective de l’entreprise bénéficiaire
Le droit européen de la concurrence est impitoyable ! Il exige, en effet, pour ne pas perturber les règles de la libre concurrence, le remboursement des aides d’État – lesquelles sont entendues largement (subvention, allègement de charges, financement de campagnes de promotion, prise de participation, exonération fiscale, etc.) – incompatibles avec le marché intérieur, y compris lorsque l’entreprise qui en bénéficie est sous le coup d’une procédure collective. Et il ne faut pas que la collectivité publique qui les a consenties traîne des pieds pour récupérer ces aides, notamment en refusant de se soumettre aux contraintes imposées aux créanciers du débiteur en difficulté par le droit des procédures collectives… Il s’agit là, a précisé le juge européen, d’une obligation légale pour l’État dont elle relève que de procéder à la récupération des aides accordées à des entreprises et que la Commission a déclaré illégales et incompatibles avec les règles communautaires.
Cette obligation passe d’abord par celle de déclarer sa créance au passif de l’entreprise bénéficiaire de l’aide d’État. La formalité de la déclaration s’impose par le fait que la créance de récupération de l’aide illégale est, certes, a priori, une créance postérieure au jugement d’ouverture, dès lors que la notification à la collectivité publique de la décision de la Commission de recouvrer cette créance a lieu postérieurement au jugement (c’est cette notification qui constitue, en effet, le fait générateur de la créance), mais elle ne fait pas partie de celles éligibles au paiement à l’échéance et au privilège de procédure (C. com., art. L. 622-17). Cela, en particulier, parce qu’elle elle n’est pas liée aux besoins de la procédure. Dès lors, elle est soumise à déclaration au passif. Et le juge européen d’ajouter que, si le délai pour procéder à la déclaration de créance de restitution est expiré, les autorités nationales doivent, lorsqu’elle existe et se trouve encore ouverte, mettre en oeuvre toute procédure de relevé de forclusion qui permettrait, dans des cas particuliers, la déclaration hors délai d’une créance, sous peine de condamnation pour manquement (même arrêt).
En l’occurrence, une société française a bénéficié, sous la forme d’une exonération fiscale temporaire, d’une aide publique estimée incompatible avec les règles du marché commun par la Commission européenne, qui en a exigé la récupération. Cette société ayant été mise en redressement puis en liquidation judiciaire, un directeur départemental des finances publiques, qui n’avait pas déclaré sa créance de restitution dans le délai légal, a demandé à être relevé de la forclusion encourue. Le juge-commissaire ayant rejeté cette demande, il exerce alors un recours contre l’ordonnance de rejet du juge-commissaire. En vain, le recours est rejeté par le tribunal de grande instance, puis par la cour d’appel. Enfin, la Cour de cassation valide la position de la cour d’appel qui a jugé irrévocable le refus du relevé de forclusion, même s’il en résulte l’impossibilité absolue d’exécuter la décision de la Commission considérant l’aide illégale et exigeant son remboursement. Ce dont il ressort qu’en dépit du principe de la primauté du droit communautaire, il ne saurait être fait échec aux règles très restrictives de droit interne des procédures collectives qui gouvernent le relevé de forclusion. Il est peu douteux que cet arrêt ne sera pas regardé d’un bon oeil par la Commission de Bruxelles, laquelle serait, d’ailleurs, en droit de faire valoir que les juridictions nationales sont tenues d’appliquer les décisions qu’elle rend…
Liste des titres spéciaux de paiement dématérialisés soustraits au monopole bancaire
La loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière a procédé à la transposition, en droit français, de plusieurs directives, parmi lesquelles la directive n° 2009/110/CE du parlement européen et du conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, dite « directive monnaie électronique » (DME – L. n° 2013-100, 28 janv. 2013, art. 11 et 12 – C. mon. fin., art. L. 525-1 à L. 526-40 nouv.). Elle bouleverse la réglementation applicable à la monnaie électronique, notamment en soustrayant l’émission de celle-ci du monopole bancaire. Bien entendu, l’émission de monnaie électronique peut toujours être accomplie par les établissements de crédit, mais elle peut également l’être, désormais, par les « établissements de monnaie électronique », catégorie d’acteur désormais à part entière. En outre, des dérogations ont été introduites, permettant, sous certaines conditions, à d’autres opérateurs d’émettre de la monnaie électronique. En particulier, le nouvel article L. 525-4 du code monétaire et financier institue une dérogation en faveur des titres spéciaux de paiement dématérialisés. Selon ce texte, ces titres, qui sont, soumis à des dispositions législatives ou réglementaires spécifiques ou à un régime spécial de droit public qui en destinent l’usage exclusivement à l’acquisition d’un nombre limité de catégories de biens ou de services déterminées ou à une utilisation dans un réseau limité, ne sont pas considérés comme de la monnaie électronique. C’est ce qui explique que les entreprises qui émettent et gèrent de tels titres ne sont pas soumises aux règles applicables aux émetteurs de monnaie électronique. Le même article ajoute que la liste des titres spéciaux de paiement dématérialisés concernés doit être fixée par arrêté du ministre chargé de l’économie.
Tel est l’objet de l’arrêté du 17 juin 2013. Sont énumérés – de manière limitative – dans cet arrêté les titres suivants : le titre-restaurant, le chèque-repas du bénévole, le titre-repas du volontaire, le chèque emploi-service universel (CESU) préfinancé, le chèque d’accompagnement personnalisé, le chèque-vacances, le chèque-culture, les titres-cadeaux et bons d’achat servis par les comités d’entreprise ou les entreprises en l’absence de comité d’entreprise, à l’occasion de certains événements personnels ou familiaux, les titres-cadeaux octroyés dans le cadre d’opérations de stimulation et de promotion des ventes. On relèvera que les CESU pouvaient d’ores et déjà prendre une forme dématérialisée en vertu d’une réglementation qui leur est propre (C. trav., art. L. 1271-14 et Arr. 19 déc. 2007, mod. par Arr. 7 avr. 2011).
Contrat : illicéité de la vente d’un fichier client non déclaré à la CNIL
Tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). La vente par une société d’un tel fichier qui, n’ayant pas été déclaré, n’était pas dans le commerce, a un objet illicite.
Aujourd’hui, tout s’achète et tout se vend, dit la chanson. On croyait donc, du fait d’une jurisprudence particulièrement permissive, que la catégorie des choses hors du commerce, c’est-à-dire de celles qui sont insusceptibles de faire l’objet de conventions, pour des raisons qui tiennent à la protection de l’ordre public et des bonnes moeurs (F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil,. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009, n° 274), était tombée en déshérence. Surtout depuis l’abandon, par souci de réalisme, du principe de la licéité de la cession des clientèles libérales. Pourtant, cette catégorie juridique renaît aujourd’hui de ses cendres, mais sur un fondement sur lequel on ne l’attendait probablement pas : celui de la protection des données personnelles. Certes, chose hors du commerce et personne ont toujours entretenu des rapports très étroits, mais la jurisprudence (tempérée par le législateur pour des nécessités thérapeutiques) s’est efforcée de limiter la catégorie des choses hors du commerce appliquée à la personne au corps humain et à ses parties (organes, sang, etc.).
En l’occurrence, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui avait rejeté l’action en nullité de l’acheteur d’un fichier de clients informatisé qui avait omis, lors de la constitution de ce fichier, de déclarer celui-ci à la CNIL alors que l’article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 informatique et liberté impose la déclaration de tout « traitement automatisé de données à caractère personnel ». Elle considère un tel fichier non déclaré comme une chose hors du commerce, et d’annuler sa vente pour objet illicite. Le rattachement de la convention sur chose hors du commerce à l’illicéité de l’objet est une démarche assez classique en jurisprudence. Les juges d’appel, s’en tenant à une application étriquée de cet article, avaient, pour leur part, estimé que la nullité ne pouvait être prononcée, faute pour la loi de prévoir que l’absence d’une telle déclaration est sanctionnée par la nullité. C’est oublier que, en cas de transgression d’une norme d’ordre public, la nullité peut être prononcée par le juge si cette violation porte atteinte à un intérêt qu’il estime particulièrement important.
La solution peut paraître sévère, mais la Cour de cassation souhaite probablement distiller un message à caractère « politique » selon lequel, en substance, les données personnelles des individus doivent être utilisées avec précaution, dans le strict respect de la règlementation. Au-delà du cas d’espèce, elle se veut certainement un avertissement adressé à certains acteurs du commerce électronique, en particulier ce qu’il est convenu d’appeler les « géants de l’internet » (Facebook, Google, Amazon, etc.), qui sont des gigantesques machines à collecter des informations sur les internautes, informations dont l’usage manque singulièrement de transparence et ne paraît pas toujours respectueuses des libertés individuelles. Et pour en revenir au « fichier client » informatisé, il apparaît qu’une déclaration préalable est nécessaire pour pouvoir accomplir toute convention sur celui-ci, qu’il s’agisse, comme ici, d’une vente, mais aussi d’une location – c’est d’ailleurs là l’activité de certaines officines –, d’un prêt, d’un apport en société, voire même d’un nantissement. Il semble, en outre, que la déclaration doit être faite non seulement lors de la création du fichier, mais également lors de la vente de celui-ci (ou de toute autre opération) (V. l’art. 30-I-1° de la loi du 6 janv. 1978, qui impose de faire figurer dans la déclaration à la CNIL « l’identité et l’adresse du responsable du traitement ». Or, celui-ci a, par hypothèse, changé en cas de vente du fichier ; d’où l’exigence, à notre avis, d’une nouvelle déclaration).
Sûreté : obligation du tiers saisi en cas de saisie-attribution et de sursis de paiement obtenu par le contribuable
Dès lors que la saisie conservatoire a été convertie en saisie-attribution avant la réclamation du contribuable assortie d’une demande de sursis de paiement, les fonds deviennent indisponibles et consignés entre les mains du tiers saisi.
La saisie-attribution ne devient pas caduque du fait de la réclamation du contribuable assortie d’une demande de sursis de paiement et le tiers saisi n’est pas libéré de ses obligations.
En l’occurrence, le comptable public, agissant en vue de recouvrer les impositions dues par une société, a fait signifier à une société civile immobilière (SCI), le 14 avril 2004, une saisie conservatoire, laquelle a été convertie en saisie-attribution le 6 octobre 2005. Quatre jours plus tard, la société débitrice a introduit une réclamation d’assiette assortie d’une demande de sursis de paiement portant sur la totalité des causes de la créance, réclamation finalement rejetée par le tribunal administratif. Seulement, le tiers saisi ne détenant plus les sommes saisies, le comptable a vainement fait délivrer des sommations de payer. Dès lors, estimant que la SCI avait violé les dispositions de l’article 234 du décret du 31 juillet 1992 ancien, devenu R. 523-1 du code des procédures civiles d’exécution, qui interdit au tiers de disposer des sommes réclamées dans la limite de ce qu’il doit au débiteur, le comptable a fait assigner cette dernière devant le juge de l’exécution. C’est ainsi que la SCI fut déclarée personnellement débitrice des causes de la saisie conservatoire pratiquée entre ses mains le 14 avril 2004 pour un montant de 309 014,16 € et convertie en saisie-attribution par acte du 6 octobre 2005.
Or, pour la SCI, tiers saisi, le sursis à exécution avait eu pour effet d’entraîner la caducité des actes de poursuites antérieurs ; si bien que le comptable public, une fois ces impositions redevenues exigibles, devait procéder à une nouvelle saisie-attribution. Une interprétation que ne partage pas la Cour de cassation. Sans surprise en réalité. Car elle avait déjà jugé que l’avis à tiers détenteur produit son effet attributif dès sa notification et qu’il ne devenait pas caduc par le dépôt ultérieur d’une réclamation assortie d’une demande de sursis de paiement, nonobstant l’impossibilité d’en exiger le paiement avant l’expiration du délai de contestation de l’avis ou l’issue de cette contestation engagée dans le délai légal. La Cour de cassation réitère ici cette solution à propos de la saisie-attribution : « la saisie conservatoire avait été convertie en saisie-attribution avant la réclamation assortie d’une demande de sursis de paiement par le débiteur, ce dont il résultait qu’en vertu de l’effet attributif immédiat conféré à cette saisie par l’article 43 de la loi du 9 juillet 1991, devenu L. 211-2 du code des procédures civiles d’exécution, les sommes saisies avaient été transférées dans le patrimoine de l’Etat avant la suspension des poursuites, de sorte que les fonds étaient devenus indisponibles et consignés entre les mains de la SCI ».
Dès sa notification, la saisie-attribution rend le tiers détenteur personnellement débiteur du Trésor et lui interdit de disposer des sommes réclamées dans la limite de ce qu’il doit au débiteur.